Finance : qu’est-ce que le shutdown ?

Le shutdown, phénomène caractéristique du système politique américain, représente une paralysie partielle ou totale des activités gouvernementales fédérales. Ce blocage survient lorsque le Congrès ne parvient pas à adopter un budget ou à relever le plafond de la dette, entraînant des conséquences significatives sur l'économie et le fonctionnement de l'État. Comprendre les mécanismes, les causes et les impacts du shutdown est essentiel pour saisir les enjeux complexes de la politique budgétaire américaine et ses répercussions sur la scène internationale.

Définition et mécanismes du shutdown gouvernemental américain

Le shutdown, littéralement "fermeture" en français, désigne la cessation temporaire des activités non essentielles du gouvernement fédéral américain. Ce phénomène se produit lorsque le Congrès ne parvient pas à adopter une loi de finances ou à relever le plafond de la dette publique dans les délais impartis. Concrètement, cela signifie que de nombreuses agences fédérales se retrouvent dans l'incapacité de fonctionner normalement, faute de financement.

Lors d'un shutdown, des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux sont mis en congé sans solde, tandis que d'autres, considérés comme essentiels , continuent de travailler sans être payés immédiatement. Cette situation peut affecter une multitude de services publics, allant de la fermeture des parcs nationaux à la suspension de certaines inspections alimentaires.

Il est important de noter que le shutdown ne concerne que le gouvernement fédéral. Les gouvernements des États et les administrations locales continuent de fonctionner normalement, car ils disposent de leurs propres budgets. Cependant, les répercussions d'un shutdown fédéral peuvent se faire sentir à tous les niveaux de la société américaine.

Causes et déclencheurs du shutdown aux États-Unis

Les origines d'un shutdown sont profondément ancrées dans le système politique américain et ses mécanismes de contrôle et d'équilibre des pouvoirs. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à déclencher cette situation de crise budgétaire.

Impasse budgétaire au congrès

L'une des principales causes du shutdown est l'incapacité du Congrès à adopter un budget fédéral dans les délais prévus. Aux États-Unis, l'année fiscale commence le 1er octobre. Si le Congrès ne parvient pas à voter un nouveau budget ou à adopter une résolution continue (CR) pour prolonger le financement existant avant cette date, le gouvernement se retrouve sans autorisation légale pour dépenser de l'argent, entraînant ainsi un shutdown.

Cette impasse budgétaire est souvent le résultat de profonds désaccords politiques entre les partis démocrate et républicain sur les priorités de dépenses et les politiques fiscales. Chaque camp cherche à faire valoir ses propres intérêts et visions pour le pays, ce qui peut mener à des négociations difficiles et prolongées.

Désaccords sur le plafond de la dette

Un autre déclencheur potentiel du shutdown est lié au plafond de la dette américaine. Ce plafond, fixé par le Congrès, représente la limite légale d'emprunt du gouvernement fédéral. Lorsque cette limite est atteinte, le Congrès doit voter pour la relever afin de permettre au gouvernement de continuer à emprunter et à honorer ses obligations financières.

Si le Congrès ne parvient pas à s'accorder sur le relèvement du plafond de la dette, cela peut conduire à un défaut de paiement des États-Unis, une situation potentiellement catastrophique pour l'économie mondiale. La menace d'un tel scénario est souvent utilisée comme levier de négociation politique, augmentant le risque de shutdown.

Divergences politiques entre la Maison-Blanche et le congrès

Les tensions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif peuvent également être à l'origine d'un shutdown. Lorsque la Maison-Blanche et le Congrès sont contrôlés par des partis politiques opposés, les risques de blocage augmentent considérablement. Le président peut menacer d'opposer son veto à un projet de loi de finances adopté par le Congrès, ou le Congrès peut refuser d'approuver les demandes budgétaires de l'administration présidentielle.

Ces divergences peuvent porter sur des questions de politique intérieure ou étrangère, des programmes sociaux, ou des projets d'infrastructure. Par exemple, le shutdown de 2018-2019 a été en grande partie motivé par le désaccord entre le président Trump et les démocrates du Congrès sur le financement du mur à la frontière mexicaine.

Conséquences économiques et financières du shutdown

Un shutdown gouvernemental aux États-Unis peut avoir des répercussions significatives sur l'économie nationale et mondiale. Les impacts se font sentir à différents niveaux, affectant aussi bien les marchés financiers que la vie quotidienne des citoyens américains.

Impact sur les marchés boursiers et le dollar américain

Les marchés financiers réagissent généralement avec nervosité à l'annonce d'un shutdown. L'incertitude politique et économique qu'il engendre peut entraîner une volatilité accrue des indices boursiers américains, tels que le Dow Jones ou le S&P 500. Les investisseurs, cherchant à minimiser les risques, peuvent se tourner vers des valeurs refuges, provoquant des mouvements significatifs sur les marchés des changes.

Le dollar américain, en tant que monnaie de réserve mondiale, peut également être affecté. Un shutdown prolongé pourrait éroder la confiance des investisseurs internationaux dans la stabilité politique et économique des États-Unis, ce qui pourrait entraîner une dépréciation du dollar par rapport aux autres devises majeures.

Effets sur la notation de crédit des États-Unis

Les agences de notation financière surveillent de près la situation budgétaire américaine. Un shutdown prolongé ou répété peut être interprété comme un signe d'instabilité politique et de dysfonctionnement institutionnel, ce qui pourrait conduire à une révision à la baisse de la note de crédit des États-Unis. Une telle dégradation aurait des conséquences importantes sur le coût d'emprunt du gouvernement américain et pourrait affecter la perception globale de la solvabilité du pays.

En 2011, l'agence Standard & Poor's a abaissé la note de crédit des États-Unis de AAA à AA+ en partie à cause des tensions politiques autour du relèvement du plafond de la dette. Bien que cette décision n'ait pas eu d'impact majeur immédiat, elle a souligné la vulnérabilité potentielle de la première économie mondiale face aux blocages politiques.

Répercussions sur la croissance économique et le PIB

Un shutdown a des conséquences directes sur l'activité économique du pays. Les fonctionnaires mis en congé sans solde réduisent leurs dépenses, ce qui affecte la consommation. Les entreprises qui dépendent des contrats gouvernementaux peuvent voir leur activité ralentir ou s'arrêter complètement. De plus, certains services gouvernementaux essentiels à l'activité économique, comme l'octroi de permis ou l'approbation de prêts, peuvent être retardés ou suspendus.

Selon les estimations du Bureau du budget du Congrès (CBO), le shutdown de 2018-2019, qui a duré 35 jours, a coûté environ 11 milliards de dollars à l'économie américaine, dont 3 milliards de pertes permanentes. Cela représente une réduction d'environ 0,1% du PIB pour le premier trimestre de 2019.

Un shutdown prolongé peut avoir des effets en cascade sur l'ensemble de l'économie, affectant la confiance des consommateurs et des entreprises, et potentiellement ralentir la croissance économique à long terme.

Historique des shutdowns majeurs aux États-Unis

Depuis 1976, les États-Unis ont connu plus d'une vingtaine de shutdowns, dont certains ont marqué l'histoire politique et économique du pays. Ces épisodes illustrent les tensions récurrentes entre les différentes branches du gouvernement et les enjeux politiques qui sous-tendent les négociations budgétaires.

Shutdown de 1995-1996 sous l'administration clinton

Le shutdown de 1995-1996 reste l'un des plus mémorables de l'histoire américaine récente. Il s'est déroulé en deux phases : du 14 au 19 novembre 1995, puis du 16 décembre 1995 au 6 janvier 1996, pour une durée totale de 21 jours. Cette crise opposait le président démocrate Bill Clinton au Congrès à majorité républicaine, dirigé par le président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich.

Les républicains cherchaient à réduire les dépenses fédérales, notamment dans les programmes sociaux comme Medicare et Medicaid, tandis que Clinton s'opposait à ces coupes budgétaires. Ce shutdown a conduit à la mise en congé sans solde de plus de 800 000 fonctionnaires fédéraux et a coûté environ 1,4 milliard de dollars à l'économie américaine.

Politiquement, cet épisode a été largement perçu comme une victoire pour Clinton, les républicains ayant été tenus pour responsables du blocage par l'opinion publique. Cette perception a contribué à la réélection de Clinton en 1996.

Crise budgétaire de 2013 sous obama

Le shutdown de 2013, qui a duré 16 jours du 1er au 17 octobre, est survenu sous la présidence de Barack Obama. Le point de contentieux principal était l' Affordable Care Act , communément appelé Obamacare . Les républicains, qui contrôlaient la Chambre des représentants, ont tenté d'utiliser le processus budgétaire pour retarder ou défaire cette réforme majeure du système de santé.

Ce shutdown a eu des conséquences significatives :

  • Environ 800 000 employés fédéraux ont été mis en congé sans solde
  • Les parcs nationaux et de nombreux monuments ont été fermés
  • Certains services gouvernementaux ont été suspendus ou ralentis
  • Le coût économique a été estimé à 24 milliards de dollars
  • La note de crédit des États-Unis a été menacée d'un abaissement

La résolution de cette crise n'a apporté que peu de changements à l'Obamacare, mais a mis en lumière les profondes divisions politiques au sein du Congrès et entre le pouvoir législatif et exécutif.

Shutdown record de 2018-2019 sous trump

Le shutdown le plus long de l'histoire américaine s'est produit sous l'administration Trump, du 22 décembre 2018 au 25 janvier 2019, soit 35 jours. Le point de discorde principal était le financement du mur à la frontière mexicaine, promesse de campagne emblématique de Donald Trump. Les démocrates, qui venaient de reprendre le contrôle de la Chambre des représentants, s'opposaient fermement à ce projet.

Ce shutdown a eu des conséquences particulièrement sévères :

  • Environ 380 000 employés fédéraux ont été mis en congé sans solde
  • 420 000 employés "essentiels" ont dû travailler sans être payés
  • De nombreux services gouvernementaux ont été perturbés ou suspendus
  • Le coût économique a été estimé à 11 milliards de dollars par le CBO
  • La croissance du PIB du premier trimestre 2019 a été réduite de 0,1%

La fin du shutdown n'a pas apporté de financement pour le mur frontalier, mais a conduit à la création d'une commission bipartisane pour étudier les questions de sécurité frontalière. Cet épisode a souligné les limites de l'utilisation du shutdown comme outil de négociation politique.

Mesures préventives et résolutives du shutdown

Face aux conséquences néfastes des shutdowns, diverses stratégies ont été développées pour prévenir leur occurrence ou pour en limiter les effets lorsqu'ils surviennent. Ces mesures impliquent différents acteurs du système politique américain et visent à améliorer le processus budgétaire fédéral.

Négociations bipartisanes au congrès

L'une des clés pour éviter un shutdown réside dans la capacité des membres du Congrès à travailler de manière bipartisane. Cela implique des compromis de la part des deux principaux partis politiques, démocrate et républicain. Les leaders du Congrès et les présidents des commissions budgétaires jouent un rôle crucial dans ces négociations.

Les négociations bipartisanes peuvent prendre plusieurs formes :

  • Réunions informelles entre les leaders des deux partis
  • Création de groupes de travail bipartisans sur des questions budgétaires spécifiques
  • Consultations régulières avec la Maison-Blanche pour aligner les priorités
  • Utilisation de médiateurs ou de facilitateurs neutres pour débloquer les impasses

Ces efforts de collaboration visent à trouver un terrain d'entente sur les priorités budgétaires et à élaborer des compromis acceptables pour les deux camps, réduisant ainsi le risque de blocage.

Résolutions continues (CR) et accords temporaires

Lorsque le Congrès ne parvient pas à adopter un budget complet avant la date limite, il peut recourir à des résolutions continues (CR). Ces mesures temporaires permettent de prolonger le financement du gouvernement pour une période déterminée, généralement quelques semaines ou quelques mois, sur la base des niveaux de dépenses de l'année précédente.

Les CR offrent plusieurs avantages :

  • Elles évitent un arrêt complet du gouvernement
  • Elles donnent plus de temps pour négocier un accord à long terme
  • Elles permettent de maintenir les services essentiels

Cependant, les CR ne sont qu'une solution temporaire et leur utilisation répétée peut créer une incertitude budgétaire à long terme. Elles ne résolvent pas les désaccords fondamentaux sur les priorités de dépenses et peuvent retarder des décisions importantes sur le budget fédéral.

Réformes du processus budgétaire fédéral

Face aux shutdowns récurrents, de nombreuses voix s'élèvent pour réformer le processus budgétaire fédéral. Certaines propositions visent à rendre les shutdowns moins probables ou moins dommageables :

  • Adoption d'un budget biennal plutôt qu'annuel pour réduire la fréquence des négociations
  • Mise en place de mécanismes automatiques de prolongation du financement en cas d'absence d'accord
  • Réforme du calendrier budgétaire pour donner plus de temps aux négociations
  • Renforcement des sanctions pour les élus en cas de non-adoption du budget

Ces réformes visent à améliorer la prévisibilité et la stabilité du processus budgétaire, tout en encourageant une plus grande responsabilité de la part des élus. Cependant, leur mise en œuvre nécessiterait un large consensus politique, qui reste difficile à atteindre dans le climat actuel.

Comparaison internationale des crises budgétaires gouvernementales

Bien que le shutdown soit une particularité du système politique américain, d'autres pays connaissent également des crises budgétaires qui peuvent perturber le fonctionnement de leur gouvernement. Cependant, les mécanismes et les conséquences de ces crises varient considérablement d'un pays à l'autre.

En Europe, par exemple, l'absence d'adoption d'un budget ne conduit généralement pas à une fermeture des services gouvernementaux. Dans de nombreux pays européens, des mécanismes automatiques permettent de continuer à financer les services publics sur la base du budget de l'année précédente en cas de blocage parlementaire.

Au Canada, le concept de vote de confiance lié au budget signifie qu'un échec dans l'adoption du budget entraînerait généralement la chute du gouvernement et de nouvelles élections, plutôt qu'un arrêt des services gouvernementaux.

La comparaison internationale souligne la singularité du système américain et pose la question de l'efficacité de ses mécanismes de contrôle budgétaire face aux défis de la gouvernance moderne.

En Australie, une crise constitutionnelle en 1975, connue sous le nom de Dismissal, a conduit à la révocation du Premier ministre par le gouverneur général après un blocage budgétaire. Cet épisode a souligné l'importance des mécanismes constitutionnels pour résoudre les impasses budgétaires.

Le Japon, quant à lui, a connu des périodes de vide budgétaire lorsque le budget n'était pas adopté à temps. Cependant, des dispositions légales permettent au gouvernement de continuer à fonctionner sur la base du budget de l'année précédente, évitant ainsi une paralysie totale.

Ces différences internationales mettent en lumière l'importance des structures institutionnelles et des traditions politiques dans la gestion des crises budgétaires. Elles soulèvent également des questions sur la possibilité d'adapter certains de ces mécanismes au contexte américain pour prévenir les effets néfastes des shutdowns.

En fin de compte, la comparaison internationale des crises budgétaires gouvernementales révèle que si le shutdown à l'américaine est unique dans sa forme, les défis liés à l'adoption des budgets nationaux sont universels. La recherche de solutions équilibrées, permettant à la fois un contrôle démocratique efficace et une continuité des services publics, reste un enjeu majeur pour de nombreuses démocraties modernes.